Avant la publication de son Enquête sur la distribution XR, Québec/Canada XR se réjouit de partager quelques-unes des entrevues que nous avons réalisées avec des experts clés dans le domaine de la XR à l’international. En plus de ces entrevues, nous publierons également un certain nombre d’articles axés sur des thèmes clés dont nos répondants ont discuté tout au long du processus de recherche.
Lisez ces articles pour vous ouvrir l’appétit en attendant la sortie du rapport complet.
Cette entrevue avec Antoine Cayrol (Atlas V et Astrea) fut menée par Monique Simard (Présidente, Partenariat Quartier des spectacles) le 5 mai 2021.
Monique Simard : Pour commencer, peux-tu nous parler de ton parcours?
Antoine Cayrol : Tout a commencé avec I, Phillip, réalisé par Pierre Zandrowicz et produit par Okio Studio avec ARTE. Nous étions parmi les premiers en Europe à faire ce genre de production. C’est un pari qui a très bien marché et nous nous sommes trouvés très sollicités par après (une publicité pour Jean-Paul Gaultier, un autre film pour Oculus, etc.). C’était pour nous un signe qu’il fallait continuer sur cette lancée. En octobre 2017, nous avons donc fondé Atlas V, un studio de production VR qui s’est depuis muni d’une filiale spécialisée en VFX et en temps réel (Albyon). Plus récemment, nous avons également lancé Astrea, une compagnie de distribution qui travaille avec d’autres producteurs pour publier et distribuer des expériences VR à travers le monde.
MS : En tant que producteur indépendant, comment vois-tu l'évolution de la VR indépendante? Comment les gens perçoivent-ils le milieu?
AC : Pour répondre à cette question il faut parler à la fois de futur et de passé. Si on revient au tout début — c’est-à-dire quand Facebook rachète Oculus — Mark Zuckerberg dit dès la première conférence en 2016: « Soyez patients, ça va prendre 10 ans avant de marcher. Ça n’ira pas plus vite que ça ». Or, plusieurs personnes ont décidé d’oublier cette mise en garde et d’investir massivement dans ce nouveau marché de la réalité virtuelle dans l’espoir d’un retour sur investissement rapide. Il s’est donc passé une première période d’engouement où les choses se passaient vite et où plusieurs personnes se disaient « C’est pour demain ! ». Cette période de rêve aura duré trois ans.
L’engouement a mené à une deuxième vague, qui est celle dans laquelle nous nous trouvons en ce moment, soit une vague de désillusion qui devrait bientôt se terminer. On voit cette désillusion dans les commentaires de ceux qui se disent « personne ne regarde de projets VR, ça ne fait pas d’argent, les gens ne sont pas équipés, les nouvelles technologies prennent trop de temps à se développer ». C’est cette mentalité qui a mené à un ralentissement du secteur et à la fermeture de plusieurs boîtes. Cette période est aussi marquée par une sorte de désillusion qui fait en sorte que c’est plus dur de financer des projets, car beaucoup moins de gens financent de nouvelles productions parce qu’ils trouvent que « ça ne va pas aussi vite que prévu ». Mais en fait, ça va exactement comme c’était prévu ! Les gens qui sont là sur le long terme le savent très bien. Il faut être patient, puisque ça risque de prendre dix ans, comme Zuckerberg le disait à l’époque.
Pour finir, nous approchons la fin de cette deuxième vague et le début d’une prochaine phase plus constructive qui sera marquée par l’arrivée de beaucoup plus d’appareils. Plusieurs compagnies en Asie sortent des casques (Huawei, Pico, etc.) et les GAFAs vont aussi éventuellement lancer leur propre matériel. Nous sommes à l’aube d’une phase où la technologie sera de plus en plus agréable et où, grâce au streaming, il ne sera plus nécessaire de se connecter à un ordinateur. C’est ce qui va nous faire entrer dans une troisième phase où les investisseurs vont revenir. Je suis persuadé que cette troisième phase sera encore plus intéressante et mieux financée que la toute première.
MS : Comment ces différentes phases ont-elles affecté vos pratiques d’affaires?
AC : Le choix de projet a parfois été influencé, mais c’est surtout la façon de planifier des productions qui a changé. Nous avons la chance de faire partie d’un pays (France) où il existe un financement public de l’audiovisuel. Ce financement est parfois plus lent, mais il permet de créer de l’emploi, de la valeur, du catalogue, et du patrimoine dans ces pays (France, Canada, etc.). Quand les investissements privés ont ralenti dans la deuxième phase, nous avons pu compter sur ces logiques de financement plus traditionnelles : la coproduction internationale, les dépôts dans plusieurs fonds en parallèle (au Luxembourg, au FMC, au CNC, le Tax shelter en Belgique, etc.). Autrement dit, il a fallu aller chercher des sources de financement qui ne sont pas sensibles aux hauts et aux bas et qui sont plutôt là pour financer la culture.
En ce moment, nous nous trouvons dans une phase où c’est plus long de financer des projets. Ce qui risque d’arriver dans cette troisième vague où les investissements privés vont revenir c’est que nous devrons changer notre façon de choisir les projets que nous produisons pour investir sur des projets qui vont répondre aux attentes du marché. Or, je ne mets pas « production indépendante » et « marché mainstream » en opposition; je suis d’avis qu’on peut faire des choses grand marché qui sont tout de même de qualité indépendante. Seulement, si on s’imagine un marché plus fort avec un public robuste, alors les productions d’auteur pourront revenir. Quand le marché sera là, il y aura de la place pour tous. Pour l’instant, le marché n’est pas encore là; il est en pleine construction. Entre temps, nous allons prioriser des choix éditoriaux un peu plus mainstream que ce que nous avons fait par le passé et que ce que nous pourrons refaire dans le futur.
MS : Comment gérez-vous la distribution? Est-ce que vous vous en chargez à l’interne ou bien est-ce que vous confiez la responsabilité à une entreprise externe?
AC : Au début, nous donnions quelques mandats, mais ce n’était pas toujours très bien fait. C’est ce qui nous a poussés à créer notre propre boîte de distribution, Astrea. Pour l’instant, nous avons déjà beaucoup de mandats. Tout a commencé avec le catalogue Atlas V, mais nous avons aussi élargi nos horizons aux catalogues d’autres studios. Pour l’instant, on nous a confié une quinzaine de projets en plus du catalogue Atlas V.
L’une des choses que nous priorisons en ce moment est la localisation des œuvres, afin de pouvoir les distribuer à l’international. Nous allons bientôt faire nos premières sorties au Japon, en Corée, etc. Nous sommes arrivés également à signer des ententes pour des expositions en Chine et en Corée. Ce sont parfois des petites expos, mais elles nous offrent beaucoup de visibilité. Il est important de se faire connaître du public et de faire connaître sa marque ! Nous nous occupons aussi des festivals, mais nous demandons maintenant qu’ils nous versent un cachet minimal, surtout quand il ne s’agit pas des trois plus grands festivals (Tribeca, Venise, Sundance).
Finalement, nous signons aussi des ententes pour distribuer des projets sur les grandes plateformes (Oculus, Steam, etc.). Même ces montants qui sont parfois petits s’additionnent rapidement à travers les différents territoires. Qui plus est, cela donne de la visibilité.
Le réel enjeu de la distribution sera le publishing. Il faut se rapprocher du public. C’est ce que nous voulons développer avec Astrea. Publier les œuvres de nos partenaires, investir en marketing, en localisation, nous rapprocher de l’audience finale et de l’acheteur.
MS : En attendant cette troisième phase de regain que tu décrivais plus tôt, penses-tu qu’il devra y avoir des améliorations techniques afin de bâtir un plus grand public?
AC : Évidemment ! Mais plus que de l’appareil, il faudra aussi qu’il y ait des améliorations connexes. Par exemple, le streaming risque d’être de plus en plus important. Aussi, je crois qu’il pourrait y avoir de gros bouleversements si PlayStation et Xbox investissaient plus sérieusement dans le marché. Si ces compagnies qui ont déjà des dizaines de millions de consoles dans les mains du public leur envoyaient un casque gratuit, la base d’utilisateurs serait soudainement énorme. Les gens possèdent déjà ces consoles, alors les casques ne sont qu’une petite partie de l’équation en plus.
MS : Penses-tu que ce public, orienté vers le jeu vidéo a priori, est moins susceptible d’être intéressé par les œuvres indépendantes que nous produisons dans le milieu?
AC : Pas nécessairement. Dans un premier temps, les gamers ont des familles qui ne consomment pas que des jeux vidéo. Je pense aussi que les gamers prennent des pauses de leurs jeux et qu’ils consomment également d’autres types de contenus. Par ailleurs, je pense que les gamers d’aujourd’hui sont des gens qui aiment et qui ont le temps de s’adonner à des loisirs, du moins plus qu’il y a quarante ans. Ce sont aussi eux qui connaissent déjà les plateformes et le matériel. Ce sont eux qui, dans un premier temps, vont investir ces milieux-là et ce sont eux aussi qui vont acheter des contenus d’auteurs.
Prenons Gloomy Eyes comme exemple. Ce sont des gamers qui ont acheté les Quest et qui ont acheté le projet, pas les amateurs de cinéma indépendant. Évidemment, les profits générés par les jeux vidéo vont rester bien au-delà de ceux de nos contenus d’auteur, mais il ne faut pas pour autant laisser pour compte ce marché.
MS : Faudrait-il adapter nos stratégies pour s’adresser à ce type de public?
AC : Absolument ! Par exemple, l’une des leçons les plus importantes que nous avons apprises en distribuant nos œuvres sur ces plateformes, c’est que ce public-là consomme beaucoup de contenus, mais il n’achète jamais une œuvre à sa sortie et surtout jamais à plein prix. Les gamers ont l’habitude d’attendre qu’il y ait des soldes quelques mois après la sortie; ils attendent que l’œuvre soit à 40% de rabais. C’est ce genre de mentalité là qu’il faut apprendre à connaître et à laquelle il faut nous adapter. Il faut entrer dans ce jeu-là, prévoir des sorties un peu plus chères et savoir que ce public va attendre les soldes d’été ou du temps des fêtes pour acheter l’œuvre à rabais; c’est à ce moment-là que le projet se vendra plus.
Il faut tout à fait s’adapter à cette façon de parler à ces gens qui, rappelons-le, ne s’opposent pas aux contenus narratifs artistiques. En revanche, ils ont des usages qui leur sont propres. Ce n’est pas à eux de changer leurs usages, c’est à nous de changer les nôtres.
MS : Que penses-tu des programmes de financement public en France et en Europe?
AC : Nous avons la chance de faire partie d’un des cinq pays qui soutiennent très bien ce que nous faisons, alors nous avons très souvent recours à ces programmes de financement. Les aides européennes aussi sont très bien faites. Le processus est parfois long et éreintant, mais on peut déposer un slate de cinq projets et recevoir plus d’aide au développement, ce qui ne se fait pas en France.
MS : Pour ce qui est du format des œuvres, que penses-tu de l’avenir des projets avec ou sans portion installative?
AC : Je suis d’avis qu’à l’avenir il y aura plus de lieux physiques dédiés aux expositions XR. En fait, nous lançons justement l’espace PERROTIN VR – Narrative Experience en octobre 2021. Associé à la galerie Perrotin, au cœur de Paris, l’espace ouvre le 19 octobre avec quatre productions à la croisée de l’art et des technologies immersives.
Je crois qu’il y aura toujours une place pour des œuvres installatives, mais je crois qu’il s’agira plutôt de commandes ou d’expositions thématiques, par exemple pour des muséums d’histoire naturelle. Il serait difficile de concevoir un projet produit avec une installation qui ne serait pas prévue pour un lieu particulier, sans connaître les contraintes techniques, les conditions du lieu qui va l’héberger, etc.
Il y a aussi des espaces location-based (LBE), par exemple dans des centres commerciaux. En ce moment, si l’on regarde ce qui se passe en Chine, c’est surtout le jeu vidéo qui est mis de l’avant. Je crois que ce genre d’espace aura toujours sa place, surtout en proposant des choses que les gens ne pourront pas faire à la maison (interfaces haptiques, neuronales, etc.). Par contre, je n’ai pas l’impression que beaucoup de ces LBE vont vouloir du contenu narratif, du moins pas pour l’instant. Certains d’entre eux prennent le pari contraire, comme Dreamscape, mais la question de la rentabilité se pose tout de même, surtout s’il s’agit de contenus narratifs courts et sans rejouabilité.
Dans le même ordre d’idée, nous avons aussi commencé à nous intéresser à ce que nous appelons « l’immersif sans casques ». À partir du moment où l’on sait écrire et concevoir des expériences immersives, pourquoi ne garder que le casque? Pourquoi ne pas aussi aller vers ces espaces immersifs sans casques? Je crois énormément à ces espaces qui se détachent du modèle traditionnel de la réalité virtuelle (avec casque).
Cette entrevue fut menée dans le cadre de l’Enquête sur la distribution XR de Québec/Canada XR. Celle-ci s’ajoute à une vingtaine d’entrevues qui mèneront à la publication d’un rapport sur les tendances, les défis et les nouveaux modèles de la distribution d’œuvres et d’expériences XR, ici comme ailleurs.
Restez à l’affut pour la publication du rapport complet.
Enquête sur la Distribution XR
L’enquête sur la distribution d’oeuvres et d’expériences XR indépendantes est un projet mené par Québec/Canada XR, un partenariat regroupant MUTEK, XN Québec, le Centre Phi, le Festival du nouveau cinéma (FNC) et les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM). Le projet bénéficie du soutien financier du Conseil des arts du Canada et a été financé dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel de Montréal conclue entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien.
Fier partenaire de la Ville de Montréal.
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Insights into XR Distribution — Myriam Achard and Julie Tremblay (PHI)
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