Dans le cadre d’une initiative des services culturels de l’Ambassade de France au Canada, avec le soutien du Consulat général de France à Québec, coordonnée par l’Alliance Française de Vancouver et en collaboration avec Xn Québec, nous vous proposons une série de portraits de l’industrie de la réalité étendue (XR) au Canada. Nous vous invitons à découvrir les talents canadiens qui se cachent derrière les studios techno-créatifs répertoriés dans notre cartographie, à travers une série de portraits discutant leur histoire et leur vision de l’industrie de la XR.
Cette entrevue avec Alexandre Teodoresco (Directeur du Développement Stratégique et de l’innovation, 7 Doigts) a été réalisée par Philippe Bédard (Québec/Canada XR) le 25 février 2022.
Si cette série de portraits nous a appris quoi que ce soit, c’est que le milieu de la XR est encore foisonnant et que le Canada possède une riche industrie à la fine pointe de ce nouveau marché. Pour clore cet exercice, quoi de mieux qu’un portrait du LAB7, une initiative du collectif des arts de la scène Les 7 Doigts dont l’objectif est d’explorer les limites des technologies immersives. Bien qu’il soit né dans le monde du cirque, le LAB7 se concentre sur la création de productions hybrides, où les nouvelles technologies vont à la rencontre des arts de la scène.
Situé au centre de création et de production des 7 Doigts, le LAB7 expérimente avec des pratiques techno-créatives en tous genres : la capture de mouvement, les moteurs de jeu en temps réel, la réalité virtuelle et augmentée, la diffusion multiplateforme, la scénographie immersive, les environnements interactifs, etc. Plusieurs de ces dernières sont au cœur de LiViCi (Live Virtual Circus), un projet qui s’est mérité le « Prix du public Real-Time Live ! » lors de l’événement SIGGRAPH 2021.
Dans ce dixième et dernier portrait, nous nous sommes entretenus avec Alexandre Teodoresco, Directeur du Développement Stratégique et de l’innovation des 7 Doigts pour en savoir plus sur ce projet innovant et sur le LAB7 en général.
Les 7 doigts
Lancé en 2002, le collectif Les 7 doigts est le fruit d’une collaboration entre sept artistes qui ont voulu faire le cirque différemment, à savoir du cirque d’auteur. L’initiative qui dure depuis maintenant vingt ans cherche sans cesse à briser le quatrième mur et à immerger son public grâce à ses spectacles acrobatiques et multidisciplinaires.
Selon Alexandre, le mariage entre les arts du cirque et les nouvelles technologies va de soi. Le cirque n’étant pas un « art noble » comme la peinture ou la sculpture, celui-ci a toujours été intéressé par les possibilités offertes par les technologies, quelles qu’elles soient. L’union est d’autant plus logique que la vocation du collectif est de « redéfinir le cirque contemporain à partir de son essence et d’explorer les possibilités infinies offertes par le mélange des disciplines artistiques ». On voit bien les fruits de cette exploration dans un spectacle comme Riopelle grandeur nature, que la troupe présentera l’année prochaine dans le cadre des célébrations du centenaire de Jean Paul Riopelle. Ici, un algorithme vient transformer les mouvements des acrobates en traits de peinture, de sorte à transposer le style du peintre dans une peinture reproduite sur scène en temps réel. À voir en 2023 !
LAB7
En 2018, les 7 Doigts lance son propre centre de création. Pendant la pandémie, l’initiative LAB7 décolle. Comme l’explique Alexandre, « il fallait trouver de nouvelles façons de faire des spectacles ». Ainsi, la vocation du studio s’est transformée afin de « se doter d’une boîte à outils pour explorer les interactions entre corps et technologies dans le contexte du divertissement en direct » ajoute-t-il.
L’objectif du LAB7 est d’outiller les artistes du collectif à interroger de nouvelles manières de raconter des histoires, mais aussi d’apprendre à transposer les expertises existantes vers ces nouveaux médiums de la grande famille XR. Cela dit, force est d’admettre que le LAB7 répond aussi à d’autres besoins du milieu. Outre certains efforts de recherche et développement à l’interne dans des studios de création numérique çà et là au pays, Alexandre est d’avis qu’à Montréal, « il n’y avait pas d’espace où les deux univers des arts vivants et des technologies pouvaient se parler ». Dans cette optique, le LAB7 sert à aider l’équipe des 7 Doigts, mais il a aussi pour volonté de servir la communauté.
« Notre force, c’est le côté humain », dit Alexandre. « Ce qu’il nous faut encore développer, c’est le côté technologique ». Par exemple, celui-ci explique que les solutions de capture de mouvement existantes sont trop lourdes pour être utilisées dans le contexte de spectacles vivants, et ce, surtout pour des performances en direct. C’est pourquoi le LAB7 s’associe à d’autres studios à travers le Canada et le monde pour faire avancer ses projets. Par exemple, pour un projet en réalité augmentée, le LAB7 fait appel à Ohrizon, une boîte spécialisée en solutions sur-mesure en réalité augmentée. Pendant ce temps, pour LiViCi, le labo s’est prévalu des services de Shocap Entertainment, un studio basé en Colombie-Britannique spécialisé en capture de mouvement et en effets visuels en temps réel.
Étude de cas
LiViCi est le projet phare du LAB7. À cet effet, il résume bien les ambitions du studio, de même que les défis qui restent à être relevés. Comme son nom le laisse entendre, LiViCi (Live Virtual Circus) a pour projet de faire interagir des artistes de cirques avec des effets visuels en temps réel, et vice-versa. Le projet fut déjà présenté lors d’ateliers à Vancouver et à Montréal, de même qu’au SIGGRAPH en 2021, où il s’est d’ailleurs mérité un prix du public. Si la tendance se maintient, il sera aussi dévoilé au grand public plus tard cette année.
Ce projet hybride serait présenté devant quatre types de publics en même temps : en direct dans une salle, en streaming, sur écran (avec avatar) et en réalité virtuelle. Pour Alexandre, l’un des défis qu’amène cette stratégie de diffusion est que l’audience est fragmentée : « Comment peut-on gérer un spectacle et raconter une histoire qui sera comprise de la même manière par tout le monde? ». Par exemple, Alexandre explique qu’un souci survient lors du passage vers le monde virtuel, quand des artistes qui performent des acrobaties parfois très risquées se voient transformés en avatars numériques. « Quand on transforme l’artiste en elfe, par exemple, la sensation du danger risque d’être perdue. Dans les jeux vidéos, les joueurs sont habitués de voir leur personnage réaliser des prouesses acrobatiques impossibles ». On s’imagine aussi qu’il est peut-être difficile d’apprécier le fait qu’il s’agit d’une performance en direct.
Face à ce genre de défi, le LAB7 explore plusieurs solutions. L’une d’entre elles consiste à intégrer des écrans au sein de l’environnement virtuel. Ceux-ci permettraient au public qui regarde les acrobates performer au sein d’un monde virtuel, de les voir aussi en train de faire leurs cascades en direct dans les studios. Le problème inverse existe aussi pour les artistes et le public qui seraient en direct : comment apprécier le fait que toute une partie du public est virtuellement présente? « Nous explorons plusieurs solutions : par exemple, est-ce que les personnes qui explorent la scène en virtuel pourraient être vues en rayons de lumière sur scène pour les gens qui sont présents sur place? ».
Un autre défi se rapporte à l’infrastructure nécessaire pour diffuser ce genre de performance en direct à des publics potentiellement très nombreux. Le LAB7 collabore présentement avec ses partenaires pour développer une solution infonuagique qui permettrait, par exemple, de générer des instances parallèles d’une performance de LiViCi. Finalement, l’enjeu de la monétisation d’une telle expérience reste aussi à élucider. On voit déjà que l’équipe du LAB7 a pensé à diversifier les options d’accès à une expérience telle LiViCi. Cela dit, il faudra aussi penser à ce que chaque option offre au public. Par exemple, en mars 2021, la Royal Shakespeare Company présentait son spectacle Dream soit en visionnement passif gratuit, soir en version dite « interactive » pour 10£. Or, l’interaction était essentiellement nulle, ce qui risquait de nuire à l’appréciation du spectacle et, pire encore, remettre en question l’intérêt d’un tel spectacle. Le LAB7 devra considérer ce type d’enjeux avant la première de LiViCi.
Apprentissages
En tant que laboratoire de recherche et de développement, le LAB7 ne cesse de chercher à innover. Or, selon Alexandre, « l’innovation dans ce nouveau milieu ne viendra pas seulement des artistes ou de l’industrie de la technologie. Il faut que les deux industries se rencontrent et mettent leurs efforts en commun ». C’est pourquoi, dans sa propre quête d’innovation, le LAB7 n’hésite pas à s’associer à d’autres studios qui sauraient bonifier son expertise. Comme le dit Alexandre, « les meilleurs partenariats sont ceux où l’on s’associe avec une compagnie qui est forte au niveau de la technologie ». On le voit avec LiViCi, où le studio montréalais est allé chercher un partenaire pour compléter la boîte à outil technologique, principalement en matière de capture de mouvement et d’effets visuels en temps réel.
Il n’en demeure pas moins que le champ de la XR et les technologies qui l’accompagnent sont encore et toujours en phase de développement. « Nous sommes dans une phase d’exploration et personne n’a la réponse finale. Il faut se laisser la chance d’expérimenter et la chance d’échouer » rappelle Alexandre. Or, il faut que cette exploration soit encouragée, notamment par les différents bailleurs de fonds. « Nous avons au Québec une concentration très élevée de talents. S’il y a bien un moment pour soutenir l’innovation, c’est maintenant, pendant cette phase d’exploration où tout est à faire ».
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