Dans le cadre d’une initiative des services culturels de l’Ambassade de France au Canada, avec le soutien du Consulat général de France à Québec, coordonnée par l’Alliance Française de Vancouver et en collaboration avec Xn Québec, nous vous proposons une série de portraits de l’industrie de la réalité étendue (XR) au Canada. Nous vous invitons à découvrir les talents canadiens qui se cachent derrière les studios techno-créatifs répertoriés dans notre cartographie, à travers une série de portraits discutant leur histoire et leur vision de l’industrie de la XR.
Pour ce septième portrait, nous avons parlé à Audrey Pacart du projet Marco & Polo Go Round qu’elle a produit chez Item 7.
Cette entrevue avec Audrey Pacart fut menée par Philippe Bédard (Québec/Canada XR) le 21 juillet 2021.
Profil
Audrey Pacart a toujours aimé sauter dans de nouveaux défis. D’abord productrice dans le monde du cinéma traditionnel puis responsable du contenu et de la programmation pour TOU.TV, c’est en 2015 qu’elle fait son saut dans le monde de la XR. « Je me suis retrouvée dans une agence qui commençait à faire de la VR. Ça m’a interpellée et j’ai commencé à travailler là-dedans », raconte-t-elle. Au commencement, Audrey s’est fait connaître comme consultante, mentorant et accompagnant des producteurs dans ce médium émergeant. « J’ai toujours voulu créer des œuvres cinématographiques artistiques, mais qui s’adressent à un large public », avoue-t-elle. « Tout en s’adressant à un large public, mon objectif est tout de même de proposer des histoires de qualités empreintes de sophistication, de féminité, de sensualité, etc. ».
Française d’origine, elle habite au Québec depuis 25 ans. Ceci lui donne une perspective hybride fort recherchée : « Je me suis mise à voyager énormément pour discuter avec des gens partout dans le monde de comment produire de la VR. Ça m’a permis de développer un réseau international assez incroyable ». Cela dit, les choses devaient changer pour cette productrice d’expérience : « étant moi-même productrice depuis plus de 20 ans, je ne me voyais pas continuer à travailler dans la XR sans moi même produire un projet ».
C’est ici qu’entre en jeu Marco & Polo Go Round. « Je travaillais un jour dans les bureaux d’une agence de pub et on m’a parlé d’un réalisateur qui avait écrit un projet en VR », explique Audrey. Il s’agissait de Benjamin Steiger Levine et du scénario qui deviendrait Marco & Polo. « Je l’ai lu et j’ai immédiatement eu envie de le produire. J’ai vraiment eu le coup de foudre pour ce projet ».
Étude de cas : Marco & Polo Go Round
Alors que plusieurs projets de réalité virtuelle à l’époque étaient encore très axés, selon Audrey, sur des thématiques de science-fiction ou encore des sujets sombres, Marco & Polo se distinguait par son histoire d’amour authentique. « J’ai toujours été passionnée par les thématiques de la féminité, la sensualité et les relations amoureuses et tout ça. C’était la première fois qu’on me présentait un scénario où on parlait d’amour et de relations amoureuses en réalité virtuelle et où la réalité virtuelle avait une vraie raison d’être dans cette relation de couple ».
Marco & Polo Go Round raconte une histoire de rupture amoureuse entre les deux personnages éponymes, et ce, le jour d’anniversaire de Marco. Comme le résume Audrey, la vision de l’auteur était de raconter cette rupture à travers un monde qui se trouvait lui aussi visiblement chamboulé par ce que vivait le couple : « C’est l’idée que la gravité partait à l’envers. Il y avait une vraie vision de Ben d’être en plein cœur d’une rupture amoureuse. Cette prémisse, je la trouvais géniale et en plus le texte était magnifique » se rappelle Audrey.
L’histoire de ce film VR se déroule dans la cuisine de l’appartement du couple alors que Polo surprend son petit ami Marco avec un gâteau pour son anniversaire. Peu à peu, on découvre des points de tension entre les deux amoureux, et ce, alors que tous les éléments du décor commencent à s’envoler vers le ciel; leur monde est visiblement renversé.
Bien qu’il s’agisse d’un film VR, l’expérience propose six degrés de liberté de mouvement (6DoF). Ceci veut dire qu’on peut se déplacer tout au long de l’histoire et observer la scène du point de vue de notre choix. Cela peut mener à des expériences différentes pour chacun, comme le raconte Audrey : « Quelqu’un m’a dit avoir eu un jeu de regard avec les personnages, mais ce n’est qu’un hasard dû au fait que l’utilisateur peut se mettre où bon lui semble, mais aussi au travail d’animation et d’émotion qui a été fait sur les visages, ça donne l’impression qu’il nous regarde. Pour moi c’est très beau, parce que ça veut dire que c’est réussi ».
C’est à Dpt. que l’on doit le travail esthétique et technologique qui a mené à la réalisation de la vision de l’auteur, Ben Steiger Levine. Leur travail en aura valu la peine, tel que le démontre le fait que Marco & Polo s’est mérité plusieurs prix depuis son lancement à Tribeca en juin 2021. Ceux-ci incluent les prix du meilleur récit au festival de Guanajuato, du meilleur court métrage au festival 360VR, de l’œuvre la plus novatrice en format 6DoF au Festival du Nouveau Cinéma, de même que le grand prix au festival Kaohsiung XR Dreamland.
Item 7
Pour produire le projet, Audrey a choisi d’approcher Item 7, un studio basé à Montréal qu’on connaît plutôt pour son riche parcours en cinéma narratif (C.R.A.Z.Y, Café de Flore, Rebelle, Maria Chapdelaine). Même si plusieurs personnes diraient sans doute qu’en tant que nouveau médium, la réalité virtuelle mériterait une façon d’écrire des contenus qui lui serait propre, l’héritage cinématographique s’avère encore une riche ressource. À ce sujet, Audrey explique d’ailleurs que, « venant du cinéma, je pense qu’il y a encore de la place pour écrire des choses narratives pour les médiums immersifs de façon traditionnelle ». Partant de ce scénario relativement traditionnel, une équipe s’est éventuellement réunie pour traduire l’histoire de Marco & Polo en expérience VR cinématographique.
Songeant à la production du projet, Audrey explique sa décision de chercher un studio établi plutôt que de créer sa propre société : « C’est encore complexe de ne vivre que de la XR. J’avais plutôt envie d’approcher des partenaires idéaux pour produire de la VR ». Item 7 s’est avéré le partenaire idéal dans ce cas. Comme le résume Audrey, « je leur ai proposé de créer une branche où je pourrais développer des œuvres immersives ».
Coproduction
Le choix d’Item 7 s’explique notamment en raison de son expertise en termes de coproduction. « C’est encore difficile de financer de la VR narrative non-interactive » reconnaît Audrey. Prenons le fond expérimental du FMC par exemple : force est d’admettre que ce ne sont pas tous les projets qui savent répondre explicitement à son impératif d’innovation. Or, comme le souligne Audrey, « nous avons la chance d’avoir accès à des mesures incitatives entre le FMC et d’autres pays. Ça semblait assez évident qu’il fallait aller chercher de ce côté-là ». Pour Marco & Polo, Item 7 s’est associé à Belga studio, un collaborateur de longue date et un partenaire privilégié avec lequel le studio a l’habitude de travailler.
« Franchement, » nous explique Audrey, « je découvre qu’il y a une complémentarité extraordinaire qui vient de faire des coproductions entre l’Europe et l’Amérique du Nord ». Alors que le Canada et le Québec sont reconnus pour leur expertise dans la production XR, Audrey remarque que la France se démarque depuis quelques années pour les œuvres culturelles et artistiques qu’elle nous a donné à voir. Qui plus est, la façon dont les projets sont choisis dans les fonds publics de chaque pays n’est pas la même, ce qui offre plus d’options de financement. « Le fait de faire des associations puis des coproductions entre nos deux pays nous permet d’allier le côté plus commercial du Canada avec le côté plus artistique de la France. Ce sont deux pays qui sont vraiment super complémentaires en termes de création ».
En l’occurrence, Marco & Polo est le fruit d’une coproduction entre le Canada (Item 7) et la Belgique (Belga Studio), deux pays qui bénéficient d’un traité de coproduction favorable aux projets de réalité virtuelle.
Défis
Outre le casse-tête du montage financier qui touche toutes les coproductions, sur Marco & Polo, ce sont les défis techniques qui ont causé le plus de mots de tête. « Le plus gros défi » explique Audrey, « c’était de réfléchir à comment nous allions gérer la technique ». On ne le dirait pas du produit final, mais Marco & Polo est le fruit d’un processus long et ardu. Celui-ci alliait la capture de mouvement, l’animation et les moteurs de jeu en temps réel de sorte à transmettre à la fois un jeu d’acteur sensible et style d’animation unique. « Cela nous a demandé une précision technique au centimètre près, ce qui est ultra complexe ».
La motion capture s’est vite imposée sur Marco & Polo en raison de l’importance du jeu d’acteur dans cette histoire d’amour authentique. L’étape de la capture de mouvement s’est faite au Studio du Château, à Montréal. « On a dû reconstruire le décor de la cuisine au millimètre près dans le studio de mocap, parce que chaque déplacement et mouvement des comédiens devait être complètement conforme au rigging qu’on avait préparé dans Unreal » explique Audrey.
Or, comme la mocap n’est pas toujours adéquate pour rendre les émotions subtiles, il a fallu passer par une étape d’animation, même si « c’était impossible de le faire 100% en animation, parce que ça aurait coûté des millions ». Finalement, grâce à une savante gestion du budget, Audrey et son équipe ont trouvé le moyen de financer une étape d’animation chez Zest Studio, en Belgique. « C’était nouveau pour eux aussi et ils ont mis beaucoup plus de temps que prévu pour faire ça. C’était tellement un apprentissage excitant pour eux qu’ils étaient super contents de découvrir des nouvelles choses » raconte Audrey.
Finalement, c’est Dpt. qui s’est vu donner la responsabilité de gérer toutes les pièces du casse-tête et de produire l’effet final. Le studio a dû créer la technologie nécessaire pour faciliter le passage d’une étape à l’autre de la production. « Le plus compliqué dans des œuvres VR comme celles-là, c’est le passage d’une étape à l’autre, puisqu’elles ne sont pas toutes compatibles ». Le logiciel utilisé pour la capture de mouvement n’est pas nécessairement compatible avec celui utilisé pour l’animation. À leur tour, le travail des studios d’animation ne s’intègre pas nécessairement avec les moteurs Unreal ou Unity.
Ça a été un apprentissage et une formation complètement hallucinante pour tout le monde, parce que nous avons tous été dépassés par la complexité du truc
Leçons
Une chose est sûre pour Audrey, « dorénavant, je vais définitivement asseoir autour de la table toutes les expertises dont on aurait éventuellement besoin pour faire un projet. Il faut absolument que tout le monde se parle dès le début pour savoir comment les passages vont se faire entre les différentes technologies ». Tant au niveau artistique que financier, il est effectivement important de mettre en commun toutes les expertises et de réfléchir collectivement aux outils à utiliser de même qu’aux stratégies à employer pour s’assurer que le travail soit efficace.
Quant à la conception du projet, Audrey raconte qu’elle ne délaisserait pas l’écriture d’un scénario plus traditionnel. « Certaines personnes m’avaient dit que Marco & Polo était écrit trop comme un film traditionnel. En fait, je pense que je continuerais à travailler de cette façon-là : écrire des scénarios qui peuvent sembler traditionnels, tout en prenant en compte les enjeux d’immersion. Je trouve qu’on devrait quand même toujours continuer à partir d’un scénario ».
Conclusion : Futurs projets
Pour ce qui est de futurs projets qui, comme Marco & Polo, seraient tributaires du cinéma narratif, Audrey raconte qu’elle aimerait voir plus de liens entre ces deux mondes : « J’adorerais qu’il y ait un marché qui se développe pour voir de vraies œuvres cinématographiques en VR. Plusieurs personnes m’ont dit de Marco & Polo que c’était comme s’ils étaient à l’intérieur d’un vrai film d’amour. C’est génial! J’aimerais bien qu’on puisse continuer à faire ça, même si c’est peut-être une utopie ».
En cette période encore jeune de la XR, il est encore difficile de savoir dans quelle direction le médium s’en va. Impossible de savoir si la réalité virtuelle du futur suivra dans le sillage du cinéma, du jeu vidéo, des expositions muséales, des arts vivants, ou de tout autre domaine de la création. Pour Audrey, « cela fait partie du progrès et de l’évolution. On passe par des erreurs, mais on aura fait quand même des belles œuvres ! ».
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