Compte rendu rédigé par Philippe Bédard le 28 septembre 2021.
Pour la première fois depuis l’exposition Particules d’existence en 2018, le Centre PHI accueille une œuvre de Marshmallow Laser Feast (MLF), l’un des principaux collectifs d’art immersif au monde. We Live in an Ocean of Air — une expérience immersive de vingt minutes pour deux groupes de six personnes — sera présentée en première nord-américaine dès le 29 septembre 2021 jusqu’au 16 janvier 2022 dans les locaux de PHI, situés dans le vieux port de Montréal.
Parcourez notre compte rendu pour tout savoir sur cette expérience enveloppante.
Des mondes au-delà de nos sens
Si vous avez vu In the Eyes of the Animal (2015) ou Treehugger : Wawona (2016), les deux derniers projets de MLF présentés par PHI, vous reconnaîtrez l’esthétique propre au studio britannique, marquée par son utilisation de textures pointillées. En utilisant des « scanner laser terrestre » — des capteurs LiDAR (Light Detection And Ranging) plus communément utilisés en architecture — Marshmallow Laser Feast arrive à produire un effet qui se trouve à mi-chemin entre l’imagerie scientifique et l’impressionnisme.
Dans chacun des cas, cette signature visuelle leur sert à représenter des façons de voir le monde qui dépassent largement l’entendement humain. Dans In the Eyes of the Animal, par exemple, on nous mettait dans la peau de quatre animaux et insectes différents (hibou, grenouille, libellule et moustique), chacun avec sa propre façon de percevoir l’espace d’une forêt; bien qu’ils partagent tous le même monde, ils disposent chacun de leur propre environnement (ou Umwelt, pour le dire comme Jakob von Uexküll). Pour sa part, Treehugger nous proposait d’explorer l’univers d’un séquoia, le plus grand organisme vivant à avoir vécu sur la planète.
Connexions invisibles
We Live in an Ocean of Air s’inscrit dans la lignée de ces deux projets en nous révélant les liens invisibles qui nous unissent au reste de la vie sur terre. Plus spécifiquement, c’est à travers notre souffle qu’est mise en lumière cette connexion fondamentale. L’expérience nous permet de visualiser notre respiration (de même que celle des cinq autres personnes qui nous accompagnent) grâce à un casque de réalité virtuelle sans fil modifié par l’ajout d’un capteur de souffle, d’une paire de marqueurs sur les mains et d’un capteur de pouls accroché à l’oreille.
L’émerveillement qui découle du fait de voir son propre souffle cède sa place à la curiosité quand on commence enfin à se déplacer. C’est en explorant l’air de jeu de quatre mètres carrés qui nous est offerte que nous arrivons à découvrir d’autres phénomènes organiques : des systèmes de racines ruissellent sous la terre tandis que les réseaux capillaires de l’arbre géant sont tracés par le mouvement cyclique de sa sève. Comme dans Treehugger, l’œuvre nous fait même monter jusqu’à la cime du séquoia. Cela nous offre différents points de vue sur ces phénomènes organiques invisibles. Qui plus est, par un jeu de temporalité, le rythme de ces phénomènes est synchronisé à celui de notre respiration; le circuit de la sève qui suit normalement celui du soleil est ici aligné à celui de notre propre souffle. Encore ici, l’objectif est de souligner les liens qui nous unissent à d’autres formes de vie et à leur propre réalité.
Dualité de l’expérience
Comme l’explique la page officielle de l’exposition, l’une des visées du projet est de mettre en lumière « la dépendance de l’humanité à l’égard du monde naturel » ainsi que le fait que la « protection et la régénération des écosystèmes sont fondamentales pour notre avenir collectif ». Cela dit, il m’était difficile de voir autre chose dans ce projet qu’une allégorie pour le contexte actuel de la pandémie.
Basée sur la respiration, We Live in an Ocean of Air occupe une position bien étrange en cette période où les effets de la pandémie COVID-19 se font encore sentir. En plus de tous les accoutrements techniques que les employé·e·s du Centre PHI nous aident à enfiler, les mesures sanitaires font en sorte qu’il faut bien sûr porter un couvre visage. Or, lors de mon expérience, j’ai eu l’impression que mon masque interférait parfois avec le fonctionnement du capteur de souffle. En même temps, le fait que l’expérience me permette de visualiser ma propre respiration de même que celle des gens qui me côtoyaient me faisait apprécier mon masque malgré tout! Cela est d’autant plus vrai que les particules d’air restaient longtemps visibles, au point de saturer mon champ de vision. L’effet était déjà impressionnant à quatre personnes et je n’ose pas m’imaginer la quantité de pollution visuelle qu’il y aurait eu à six personnes.
Barnaby Steel, co-fondateur de Marshmallow Laser Feast et co-réalisateur de l’expérience avec Ersin Han Ersin et Robin McNicholas, était présent par visioconférence pour présenter son projet et pour répondre aux questions des journalistes. Lorsque je lui ai demandé quelle influence la pandémie a pu avoir sur le développement du projet, celui-ci m’a répondu que le projet avait en fait été développé avant l’apparition de la COVID. En fait, le projet a même dû être mis sur la glace en raison de la pandémie.
Indépendamment des liens qu’on pourrait faire entre We Live in an Ocean of Air et le contexte de la pandémie, pour Steel, l’essence même du projet demeure la respiration. Celle-ci fait figure de cordon ombilical qui nous unit à la vie qui nous entoure. Quand je lui ai demandé de comparer son projet à d’autres expériences immersives fondées sur la respiration — dont Breathe (Diego Galafassi, 2020), qui avait été produit en résidence chez PHI, et Osmose (Char Davies, 1995) — le réalisateur m’expliquait qu’il espérait que ce mode d’interaction puisse servir de tremplin vers des formes d’immersions plus diverses. À voir les expositions présentées par PHI ces dernières années et les approches multisensorielles qu’elles proposent, je suis enclin à croire que le milieu de la XR continue de s’ouvrir à des modes d’immersion toujours plus originaux.
Conclusion
Comme Breathe — qui avait été présenté à Sundance New Frontier 2020 à l’aube du confinement mondial — We Live in an Ocean of Air est un produit de l’ère du temps. Bien qu’elle traite d’abord et avant tout de notre lien à la nature, l’expérience s’avère particulièrement prégnante en cette période où l’air n’est plus simplement synonyme de vie. En même temps, tout comme les autres productions de Marshmallow Laser Feast, cette œuvre propose de nous faire voire le monde d’un autre point de vue.
Cette approche est d’autant plus intéressante que le prochain projet de MLF, Evolver, s’annonce être une exploration du corps humain.