Du 24 au 26 juin dernier, le Festival de Cannes a organisé une édition spéciale de Cannes XR, la branche de l’événement dédiée aux œuvres immersives. Comme pour d’autres festivals plus tôt cette année qui ont aussi été bouleversés par la pandémie, l’équipe d’organisation de Cannes XR a fait le choix de ne pas simplement annuler son événement, mais plutôt d’en proposer une version modifiée. Comme ce festival occupe une place spéciale dans nos cœurs, nous nous sommes rendus sur les lieux (virtuels!) pour voir la sélection d’œuvres XR présentées et pour rencontrer les artistes et les membres de l’industrie qui étaient présents.
En route vers l’inconnu.
Pour apprécier le défi qui attendait Cannes XR, il faut se rappeler comment d’autres festivals ont choisi de s’adapter aux restrictions imposées par la crise sanitaire depuis le début du printemps 2020.
Alors que Sundance s’est déroulé sans anicroche en janvier, SXSW était prévu à la mi-mars, mais a dû être annulé à la dernière minute. Pour sa part, le festival Tribeca, originalement planifié pour avril, a su pivoter en un mois — suite à l’annonce de son annulation en mars — et proposer une partie de sa sélection Cinema360 grâce à un partenariat avec Oculus qui leur a permis de rendre les œuvres accessibles gratuitement sur le service Oculus TV, disponible exclusivement sur les appareils Oculus Go et Quest. SXSW a suivi ce modèle en mai en offrant son SXSW 2020 Virtual Cinema, formule qui proposait d’accéder (via Oculus TV également) à certaines des œuvres qui auraient dû être présentées sur les lieux en mars. Le festival d’animation d’Annecy, lui, a choisi de s’associer à HTC Vive pour rendre les œuvres sélectionnées disponibles sur Viveport, leur plateforme de distribution VR par abonnement conçue pour casques connectés (Oculus Rift, HTC Vive, Valve Index, etc.).
VRHAM!, le festival de réalité virtuelle de la ville d’Hambourg, est allé dans une autre direction en s’associant à Kaleidoscope et au Museum of Other Realities (MOR) pour y héberger son VR EXHIBITION. Plutôt qu’un portail permettant de visionner des œuvres en ligne, le MOR offre un espace virtuel au sein duquel les installations immersives peuvent être présentées. Pour celles et ceux qui possèdent déjà un casque de réalité virtuelle, l’espace virtuel du MOR permet donc de reproduire certains éléments de l’expérience d’un festival en présentiel : le fait de se rendre dans un espace dédié (non plus par avion, mais via le casque); l’expérience de visiter les kiosques de différentes œuvres et de les essayer une à une; la possibilité de croiser des gens que l’on connaît ou bien de faire de nouvelles rencontres. Nous avions déjà souligné le potentiel du MOR comme alternative aux événements en présentiel dans cet article de notre série « Regards et impressions sur l’actualité du domaine XR »
C’est cette même formule que Cannes XR a cherché à reproduire en choisissant également le MOR pour présenter ses différentes sélections. Les vitrines associées aux différents partenaires de Cannes XR, soit Tribeca, VeeR, et Kaleidoscope, ont effectivement bénéficié de différentes sections du musée qui avaient été divisées en pièces dédiées à chaque expérience.
Chaque pièce avait une scénographie qui lui était propre et qui préparait le terrain pour l’œuvre présentée. Dans le cas des deux œuvres canadiennes présentées dans la section « Tribeca Virtual Arcade », soit Book of Distance (réalisé par Randall Okita et produit par David Oppenheim à l’ONF) et Icarus (Normal Studio & 4D Art), les décors choisis étaient visiblement complètement différents (voir ci-bas). Cela dit, chacun donnait un avant-goût de l’œuvre que s’apprêtait à vivre le public. Chaque pièce était également munie d’un faisceau lumineux qui servait de portail vers l’œuvre. Une fois activée, l’expérience était lancée automatiquement sans qu’on ait à quitter le musée ou à enlever son casque.
C’est ici, cependant, que quelques problèmes sont survenus. Quelques visiteurs du musée virtuel ont remarqué au fil du festival que certaines œuvres souffraient de problèmes techniques. Book of Distance, par exemple, ne fonctionnait pas pour nous et nécessitait un redémarrage de l’application afin de revenir dans le MOR. D’autres projets (comme Icarus, dont nous avions eu un aperçu en février dernier), semblaient mieux fonctionner, principalement s’ils étaient présentés sous la forme d’une vidéo 360°.
Ce genre de problème pourrait aussi être dû à une incompatibilité entre la configuration technique recommandée par le MOR et le système de réalité virtuelle que nous avons utilisé. D’un côté, il est vrai que de rendre un événement comme Cannes virtuel le rend beaucoup plus accessible à celles et ceux qui ne peuvent pas se permettre de se rendre sur les lieux. D’un autre côté, il faut reconnaitre que les exigences techniques excluent encore les personnes intéressées qui n’auraient pas déjà le matériel requis : un casque VR de bonne qualité (Oculus Rift en montant), branché à un ordinateur Windows suffisamment puissant. Comme nous n’avions accès qu’à un casque Oculus Quest et une machine Apple, il a fallu trouver des solutions originales pour réussir à nous connecter. Cela dit, nous avons eu vent que d’autres personnes avec des configurations plus robustes que la nôtre se sont butés aux mêmes problèmes.
Ces problèmes nous confrontent également aux limitations de cette approche aux événements en temps de pandémie. Bien qu’il ait l’avantage d’offrir des stratégies originales pour présenter les œuvres (voir ci-bas), un espace virtuel comme le MOR exclut d’emblée la majorité du public qui ne possèderait pas encore le matériel adéquat. Malgré l’intérêt grandissant pour la réalité virtuelle en temps de pandémie, plusieurs facteurs contribuent à faire en sorte que le matériel nécessaire est soit hors de portée du public général, soit impossible à trouver jusqu’à tout récemment. Et considérant que l’un des attraits de ces festivals pour le public est justement de pouvoir essayer des œuvres qui dépendent de dispositifs techniques encore largement inaccessibles, une formule comme celle choisie par Cannes XR n’aide pas à démocratiser la VR.
Outre les problèmes d’accessibilité en termes de matériel, quelques problèmes techniques se sont aussi manifestés au niveau des interactions sociales. Pour pouvoir interagir avec d’autres festivaliers, le MOR a choisi un système « par invitation » qui demande aux gens de rejoindre des groupes privés afin d’échanger. Le système développé par Normal. (à ne pas confondre avec Normal Studio) présente cependant quelques difficultés. Pendant la fête d’ouverture, par exemple, le problème était qu’il était quasi impossible de sélectionner la personne que l’on voulait inviter. Comme le remarque Kent Bye dans son reportage en direct de l’événement, la plupart des gens étaient orientés de sorte qu’il était impossible d’interagir avec eux. Il était aussi parfois difficile de retrouver des gens dans le musée, puisque différentes personnes pouvaient bien se trouver sur différents serveurs, ou du moins dans des instances distinctes du même espace. Cela ne couvre pas non plus les gens qui assistaient plutôt aux différentes conférences données dans le cadre du Marché du Film et qui ne pouvaient pas se joindre à nous dans le musée virtuel. Dans le cadre d’un événement en présentiel, il aurait été possible de croiser ces personnes entre deux événements, mais ici, la distance qui nous séparait se faisait bien sentir.
Cela dit, à plusieurs reprises lors de l’événement, nous avons croisé des gens dans les corridors et les salles d’exposition virtuelles de Cannes XR. C’est précisément ce qui nous a permis de faire des rencontres inattendues. C’est ainsi, par exemple, que nous avons pu discuter avec Randall Okita, David Oppenheim et Sam Javarouh qui représentaient leur projet, Book of Distance, considéré comme l’une des meilleures histoires présentées à Sundance en 2020. Nous avons également eu la chance de croiser Michaela Pňačeková (qui a notamment travaillé sur Chomsky vs. Chomsky, présenté à Sundance plus tôt cette année) et Olivia McGilchrist (dont le projet MYRa faisait partie de la sélection VRHAM! plus tôt ce mois-ci). Nous avons également eu la chance de tomber sur Robin Stethem, le co-fondateur du Museum of Other Realities qui était d’ailleurs venu présenter le projet encore embryonnaire lors d’un atelier organisé par Québec/Canada XR en novembre 2019.
Suite à ces rencontres, il était cependant difficile, voire impossible, de garder contact. En plus des gens dont le nom d’utilisateur était un pseudonyme, d’autres n’avaient mis qu’un prénom ce qui empêche totalement de retrouver les personnes rencontrées au hasard dans le MOR. L’ajout d’un système de réseautage ou de partage de contact à même le MOR aurait été grandement apprécié.
S’adapter aux nouvelles réalités
Depuis le début de la pandémie il y a quelques mois, plusieurs événements ont dû s’adapter en temps de crise. Chacun a dû trouver de nouvelles stratégies pour partager la créativité des artistes de la XR avec le public général. Et alors que la plupart des espaces LBE (location-based entertainement) cherche encore à répondre aux exigences imposées par la crise sanitaire, une solution telle que le Museum of Other Realities paraît répondre à plusieurs problèmes. Cela dit, le passage au virtuel ne sera pas facile et chaque problème réglé risque d’en dévoiler un nouveau.
Une chose est certaine : Depuis le lancement de Québec/Canada XR à Cannes en 2019, beaucoup de choses ont changé, mais l’esprit d’innovation du domaine XR, lui, ne fait que s’épanouir.
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